Théâtre

À la recherche de Mononk Jules

Durée de lecture : 3 min

Jean-Christof Cloutier-Ross

Un jour, Jocelyn Sioui lit La femme qui fuit d’Anaïs Barbeau-Lavalette et tombe sur deux pages mentionnant son grand-oncle, Jules Sioui. Telle est l’étincelle qui allume le brasier de son enquête, un parcours qui deviendra une pièce de théâtre documentaire pour le moins surprenante. Entre un travail historique, des marionnettes et des projections, Mononk Jules nous plonge dans un pan oublié de l’histoire autochtone.

Une boîte dans le grenier

En 2020, Jocelyn Sioui se trouve à un carrefour créatif. Ça fera près de huit ans qu’il n’a pas créé de spectacle. Il n’est pourtant pas resté les bras croisés. En effet, il a fondé et dirigé le OUF!, le plus grand festival de marionnettistes au Canada. L’auteur et interprète se sent pourtant loin de sa création. Or, étant Wendat d’héritage, l’absence d’informations sur l’histoire autochtone l’interpelle. Si l’œuvre de Barbeau-Lavalette lui donne le coup d’envoi, la suite l’amène beaucoup plus loin. « Mon père avait hérité d’une caisse à la mémoire de mononk Jules. Un paquet de papiers avec lesquels j’ai pu remonter le temps et comprendre son combat », explique Jocelyn. En croisant les documents avec les témoignages de celles et ceux qui connaissaient son grand-oncle, il en brosse son portrait.

Jules Sioui est l’un des grands activistes du XXe siècle. Durant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement ordonne la conscription. « Les autochtones étaient conscrits, mais n’avaient pas le droit de vote à cause de la loi sur les Indiens. Ça a créé une levée de boucliers partout au pays », raconte Jocelyn. C’est là que son grand-oncle entre en scène. Actif de 1940 à 1950, il orchestre des rencontres illégales pour rassembler les leaders des Premières Nations. Ces réunions seraient à l’origine de l’Assemblée des Premières Nations, une organisation qui a eu une influence majeure sur notre histoire. Remarquant que l’oppression est partagée, il promeut la liberté des peuples autochtones, « à une époque où indépendance et autodétermination étaient des termes difficiles à prononcer, même pour les Québécois·e·s », souligne le dramaturge. Jules Sioui fera ensuite une grève de la faim pour appuyer ses revendications politiques.

 

Sauver soldat Sioui

Avec une telle influence historique, pourquoi ne connaît-on pas Jules Sioui? À une époque où le Québec se cherchait des héros pour sa souveraineté, l’héroïsme s’accordait trop souvent au masculin et s’imaginait en blanc seulement. Le racisme ne se produit pas que dans l’action, mais aussi dans la passivité. C’est un choix politique d’effacer certaines personnes de notre histoire collective. « Quand on cherche un exemple de racisme systémique, faut pas chercher plus loin que notre système d’éducation. Pourquoi est-ce qu’on s’arrête aux maisons longues encore aujourd’hui? Il y a des enseignant·e·s qui font de gros efforts, mais les profs ne sont pas des historien·ne·s, ça prend du matériel. C’est le gouvernement qui entretient ce système », dénonce Jocelyn Sioui. Néanmoins, son grand-oncle a aussi été rejeté par sa propre communauté. Des allégations d’inconduites sexuelles sont entre autres sorties de l’ombre. « Je n’hésite pas à le dire. Ce que j’essaie de faire avec le spectacle c’est de remettre les pendules à l’heure. L’histoire est sale ; les pensionnats, les bisons qui ont été tués pour enfermer les Cris dans les plaines. Il y a beaucoup d’histoire, mais il faut la raconter pour comprendre et passer à autre chose éventuellement », ajoute vivement Jocelyn.

 

Le retour du Wendat

Il n’y a pas à dire, une passion l’anime. Sa recherche est une montagne russe d’émotions. Il y a d’abord la fierté. « On aime tou·te·s ça les rebelles. Pense à Star Wars, David contre Goliath », lance-t-il à la blague. Mais on aperçoit aussi une profonde colère qui se dessine. « Le génocide est une programmation de l’État. Il y a plein de mesures qui ont contribué à un effacement des communautés autochtones, que ce soit physiquement ou culturellement. Par exemple, 80 % des toponymes autochtones ont été effacés », mentionne-t-il. Dans son spectacle, Jocelyn tente de transmettre ces vagues d’émotions au public au fur et à mesure de sa découverte. Il mise sur les marionnettes pour varier le récit et s’en distancier lorsque la houle déferle.


Le projet l’a aussi rapproché de son héritage wendat, une nation de laquelle il a été dépossédé. « Je suis Montréalais d’abord et avant tout. C’est mes rivières, c’est mon paysage. J’appartiens à cette île-là. Quand j’ai commencé à m’intéresser à [cette histoire], j’ai compris pourquoi j’avais autant d’attachement à ce territoire. Ça vient probablement de quelque part de loin. »

Son travail documentaire est continuellement alimenté par un public qui lui confie des récits après ses représentations. Preuve que son œuvre nous rapproche aussi des oublié·e·s de notre histoire, nous ramenant souvent pas plus loin qu’à la génération de nos grands-parents.