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De ta force de vivre : coffre à outils pour affronter la mort

Durée de lecture : 6 min

Nadia Ross

La mort est un sujet tabou. On la craint, on la repousse et surtout on ne comprend pas son industrie. Marie-Ève Perron a eu à passer à travers l’implacable processus funéraire après l’éprouvant décès de son père.
« Je n’étais pas prête à ça. Je crois que personne ne l’est vraiment et j’ai voulu donner des clés pour mieux comprendre ce qui se passe quand on doit gérer la mort d’un proche. »

La pièce De ta force de vivre est née alors que Marie-Ève Perron se sentait seule et mal outillée face au départ imminent de son père. Il avait toute sa tête, il adorait les mots, c’était un procureur de la Couronne, mais c’est son corps qui le lâchait. À 65 ans, il s’est retrouvé en CHSLD. « Mon père avait une maladie dégénérative et déjà de l’accompagner là-dedans, ça a été une expérience en soi dans laquelle je me suis souvent retrouvée toute seule à ne pas savoir comment en parler », explique la comédienne.

De ta force de vivre découle donc de ce désir de présenter sans pudeur les étapes du deuil, de démystifier les rouages de l’industrie de la mort et de faire la lumière sur la série de choix à faire pour célébrer adéquatement la mémoire d’un défunt. Des choix qui se font sous le coup de l’émotion et qui sont parfois empreints d’absurdité… et de frais exorbitants.

Malgré ce côté grinçant, l’œuvre d’autofiction écrite, interprétée et mise en scène par Perron elle-même se veut aussi une réflexion plus large pour saisir les enjeux liés à la fin de vie.

« J’essaie de questionner et d’aborder le rapport qu’on entretient avec la mort, d’explorer et de parler de ce que c’est de traverser un deuil. Je veux tenter de répondre à la question : quel est le sens de la vie? »

Avec des spécialistes, Perron plonge dans la question pour extraire des paroles qui permettent d’outiller le public, mais aussi de briser le silence face à la mort. « Je me disais que c’est quand même absurde. S’il y a une chose qu’on est sûr de traverser dans notre vie, c’est bien la mort. Et dans nos sociétés on a complètement évacué ça, on ne veut pas la voir. Et ça fait en sorte que quand elle arrive, on n’a pas d’outils, on ne sait pas comment en parler. On est tous seuls dans notre coin. Et surtout, on n’a pas le droit d’avoir peur d’elle! »

Dans ce spectacle, on remet aussi en question la façon dont on a ritualisé la mort par la lorgnette très limitée du capitalisme, une approche au sein de laquelle il n’est pas vraiment permis de contester les frais. « Tu sors du salon funéraire avec 15 000 $ en moins et tu ne sais pas ce qui s’est passé!, » lance Perron en riant.

Il y a de l’humour dans ce spectacle. On ne se moque pas de la mort, on ne prend pas le deuil à la légère, mais l’autrice relate des situations cocasses. Des situations qui n’ont d’ailleurs pas été difficiles à dénicher. « L’absurde et le comique étaient toujours là, je n’ai pas eu à chercher loin. Ça aussi ça fait partie de la mort! »

Le deuil demeure une chose étrange et difficile à exprimer, explique Marie-Ève. Des idées, des phrases et même des chansons viennent souvent s’immiscer dans nos pensées à de drôles de moments. Cet état est recréé dans le spectacle grâce à 575 petits extraits sonores qui ponctuent la pièce.

« Tantôt j’ai des phrases qui sont soit dites par moi, soit par des intervenants qui me reviennent en ping-pong et ça crée une espèce de rythmique, une espèce de musique tout au long du spectacle. » Tout ça, dans un ballet technique qui se danse entre la régisseuse Andréa Marsolais-Roy et la comédienne qui est seule sur scène.

Ces voix de spécialistes de la mort et du deuil sont celles de Luce Desaulniers, Valérie Guérin-Bourgeois et Isabelle Dumont. Marie-Ève considère que leur apport à la démarche et à la pièce est crucial. Elles viennent démystifier ces thèmes obscurs et offrir des pistes de réflexion rarement abordées sur la place publique.

« Les intervenants m’ont donné un superbe cadeau à donner au monde et c’est ça qui me donne toujours envie de faire ce spectacle parce que je trouve ça important d’entendre ça. »

Cette parole sera aussi portée par le biais d’un balado réalisé cet automne. On pourra y entendre encore plus de contenu lié aux entrevues faites avec les chercheuses. Une façon de pérenniser la recherche de Marie-Ève et surtout, de rendre cet outil de compréhension de la mort encore plus accessible.

L’équipe invite d’ailleurs les spectateurs à la fin de chaque représentation à partager leurs expériences, questionnements et réflexions afin de nourrir la recherche.