Théâtre

Fondant : une réflexion théâtrale sur l’agression

Durée de lecture : 3 min

Nancy Caouette

Après la tournée de Conversation avec mon Pénis, le Théâtre Bistouri revient dans l’Est du Québec pour présenter Fondant en formule cabaret. Dans un mélange sucré-salé d’humour et de malaises, cette pièce de théâtre intimiste amène le public à réfléchir aux notions d’agression et de consentement. 

 

Au beau milieu d’une tempête hivernale, un homme pousse la porte d’une pâtisserie pour s’y réfugier. À l’intérieur, une jeune femme (Marianne Dansereau) l’accueille. L’homme entame alors une conversation qui bifurque vers le flirt. Un scénario qui semble tout droit sorti des meilleures comédies romantiques. 

 

« Au début, c’est maladroit, mais c’est cute, » constate Marc-André Thibault, fondateur du Théâtre Bistouri qui interprète le client dans Fondant. « Comme public, tu espères qu’ils vont finir ensemble. C’est tranquillement que l’on se rend compte que la maladresse laisse place à des comportements qui sont inadéquats. » 

 

C’est en puisant dans ses expériences les moins heureuses de service à la clientèle que l’autrice Pascale Marineau a écrit Fondant, sa première pièce de théâtre. « En réponse au mouvement Me Too, Pascale cherchait à démontrer que même si parfois, certains comportements des clients ne sont pas répréhensibles au sens de la loi, ils peuvent constituer une agression. Ce n’est pas parce que quelque chose n’est pas illégal qu’il n’est pas répréhensible », résume Marc-André Thibault. 

 

L’acteur souligne d’ailleurs que le décor rose bonbon, minimaliste et délicat de la pâtisserie détonne avec les gestes abusifs qui s’y dérouleront. « Une pâtisserie, c’est beau, tu as envie de tout manger. Ce n’est pas un endroit où on soupçonne une agression et c’est ce que je trouve le fun. La plupart des agressions ne se produisent pas dans une ruelle sombre. Ça peut se passer dans les endroits où on se sent le plus confortable. »

 

Un théâtre intimiste et « voyeuriste »

Dans une mise en scène signée Rose-Anne Déry, Fondant pousse l’auditoire à définir ses limites par rapport aux agressions et au harcèlement sous le signe d’un ton humoristique et parfois grinçant, mais jamais moralisateur, assure Marc-André Thibault. « Pascale Marineau, qui a notamment fait l’École nationale de l’humour, a abordé le texte avec une grande agilité. Sans nommer les choses, elle pousse le spectateur à ressentir et à vivre l’agression ou le harcèlement en étant témoin du contact entre les personnages. »

 

Il ajoute que le format cabaret de la pièce, qui a été créé en 2022 pour les 5 à 7 du théâtre montréalais La Licorne, permet une proximité avec les artistes sur scène. « C’est comme si les spectateurs regardaient la situation à travers une fenêtre, » précise-t-il. « On vise des salles réunissant un maximum de 200 personnes pour garder cette proximité-là. À Sept-Îles, par exemple, on va jouer sur une grosse scène et le public va être avec nous, durant une heure, avec leur bouffe et leur verre. »

 

Marc-André souligne que cette formule permet aussi à certains membres du public — notamment les adolescent·e·s et les jeunes adultes — de se sentir à l’aise et à leur place. « Parfois, les gens ne veulent pas aller au théâtre parce qu’ils ont peur de ne pas comprendre et de dépenser leur argent dans le vide. Cette formule cabaret permet de dire : “Le théâtre, ça peut aussi être proche de nous. Ça peut être accessible à tous”. » 

 

Du théâtre incisif pour rire… et réfléchir 

Comme pour toutes les productions du Théâtre Bistouri, avec Fondant, on mêle le divertissement à la réflexion. Le public est notamment appelé à tracer les frontières de ses propres paramètres en matière d’agressions et de harcèlement. « Il y a de la comédie de situation durant un bon bout de temps dans la pièce, jusqu’au moment où on croise la limite et que les gens ressentent un certain malaise. Ce qui est fascinant, c’est que d’un soir à l’autre, les gens arrêtent de rire à des moments différents dans la pièce. La ligne n’est pas la même pour tout le monde », analyse Marc-André Thibault. 

 

Est-ce que la pièce peut emmener les gens dans la salle, notamment les hommes, à changer leur perception quant aux agressions? « Je pense que la pièce a ce pouvoir-là », répond sans hésiter Marc-André Thibault. « Après, c’est à chacun de faire ses propres démarches. Et il faut avoir de nouveaux modèles artistiques pour les inspirer. Si ce qu’on voit au cinéma américain, ce sont toujours des gars qui essayent d’avoir une fille en insistant et qu’ils arrivent à leurs fins en ne respectant pas les limites de l’autre, on n’avancera pas! Il faut déconstruire ça. »