Musique

La vie en Rau Ze

Durée de lecture : 5 min

Les membres de Rau_ze, une guitare électrique à la main

Jean-Christof Cloutier-Ross

En 2022, les artistes émergents s’enchaînent sur la scène des Francouvertes. De nombreux talents se montrent pour la première fois sous le regard critique des spectateurs et spectatrices. C’est alors qu’entre la formation Rau Ze. Félix Paul mène le bal avec ses improvisations jazz R&B au clavier, donnant la réplique aux solos de trompette envoûtants de Violet Hébert. L’instant que Rose Pelletier se met à chanter, le public est conquis. Des textes profonds, authentiques, portés par une voix soul qui tamise les lumières. On en redemande, et Rau Ze en donne toujours plus.

Les membres de Rau_ze, une guitare électrique à la main

Le Yin et le Yan

Rau Ze, c’est d’abord un coup de foudre artistique entre Rose Perron et Félix Paul. Le duo se rencontre au cégep Saint-Laurent. L’une s’apprête à décrocher, l’autre termine sa formation en musique. « Il y a eu une étoile filante, quelque chose de beau s’est passé. On ne s’est jamais lâchés, » raconte Rose. À entendre la chanteuse, on devine une personne intuitive. Ses pensées éclatées forment un maelström créatif enjoué et turbulent. À l’opposé, Félix est plus calme, cartésien. « J’ai besoin de m’organiser intellectuellement pour faire un projet, » dit le guitariste et pianiste de formation jazz. Dans cette opposition de caractère se forme un tout. Pour Félix, il y a « un grand respect mutuel pour les talents de l’autre. »

Comme pour presque tous les groupes de musique, les débuts sont difficiles. « On a rushé, se remémore Rose. On a joué dans des escaliers pour vingt dollars et une assiette de nachos froids. » Depuis leur triomphe aux Francouvertes, tout a changé. Les nachos sont chauds et les spectacles s’enchaînent à chaque mois.

 

Être soi dans sa langue

Pour la formation Rau Ze, les Francouvertes ont été tout un défi d’écriture. Le groupe s’était habitué à interpréter des textes en anglais, mais leur engagement envers le concours les a obligés à plonger dans des textes francophones. « C’était difficile au début de composer en français sans être quétaine, raconte Félix. » C’était alors un baptême du feu pour ces nouvelles chansons. « On s’est lancés à l’aveugle, sans aucune attente, poursuit-il. On pensait même franchement se faire un peu humilier. » C’est bien entendu tout le contraire qui s’est passé.

Pour Rose, chanter en français a été un pas vers l’authenticité de sa voix. « Il y a une facilité à imiter les gens qui chantent en anglais. Mais je n’aime pas mon accent, » confie-t-elle. « J’aime beaucoup la musique québécoise. C’est plus proche de nous. » Les deux soulignent l’impact d’artistes comme Les Louanges, Hubert Lenoir et même Félix Leclerc qui ont rapproché la poésie du langage quotidien.

C’est dans le soul que les modèles manquent à l’appel au Québec. Rose ne manque pourtant pas d’inspiration. Elle puise dans Aretha Franklin, Nina Simone et Etta James. Une prestation de cette dernière (Montreux, 1975) lui fait office de religion. « Des femmes qui crient, honnêtes. C’est tellement beau et inspirant. » Félix est souvent à l’origine de la plupart des textes, mais ils ne peuvent vivre sans l’interprétation de Rose, qui les modifie et les porte avec une énergie renouvelée. « Même en pratique, je ne peux pas être à moitié à broil, » lance-t-elle à la blague. Dans le souci de vivre l’émotion qui se veut d’être transmise, chaque spectacle est un peu différent. L’improvisation jazz occupe une place de choix.

 

Un premier album

Leurs chansons sont engagées par nature. Elles parlent de précarité, de santé mentale. Des sujets souvent tabous, mais intimement communs. Sous la tutelle de Jeunes Volontaires, la formation produit un album avec Luis Clavis, leur mentor. Leur but : décloisonner les mondes du rap et de la pop dans un groove néo-soul québécois qui s’assume entièrement. Ayant récemment fait la première partie de Les Louanges, Rose est confiante. « On avait aucune chanson de sortie, mais tout le monde dansait et criait. » Le public attend impatiemment cet album, qui devrait paraître cet automne.