Théâtre

Verdict : quand l’art oratoire influence l’histoire

Nancy Caouette

Dans cette pièce de théâtre documentaire et immersif, le public est témoin de certains des grands plaidoyers qui ont façonné notre histoire, une expérience qui bouleverse au passage nos valeurs et préjugés collectifs.  

Sobriété. C’est le mot d’ordre de la mise en scène de Verdict, une pièce qui expose quatre dossiers judiciaires qui ont fait grand bruit au Québec. La production a délibérément choisi de laisser toute la place aux mots et à l’art complexe et redoutable du plaidoyer. Ainsi, Marie-Thérèse Fortin revêt la toge pour se glisser en alternance dans la peau de trois grandes avocates au côté du comédien Paul Doucet. 

 

«  Pour nous, il y a d’abord un énorme travail de mémorisation, car on reprend vraiment les mots des avocats. Ce n’est pas écrit pour le théâtre, mais pour convaincre une audience, un juge ou un coroner », détaille l’actrice. « L’interprétation est tournée vers la parole de l’avocat qui défend son point et qui veut mettre en lumière des écarts qui n’auraient pas dû avoir lieu. Il cherche à réveiller les législateurs. Et nous, comme acteurs, on doit donner toute la place aux mots, les faire résonner. » 

 

Des causes qui ont modelé le Québec d’aujourd’hui

La pièce des Agents doubles Productions se déroule en deux temps. D’abord, le public écoute la plaidoirie d’un membre de la poursuite ou la défense. Trois causes à caractère social sont exposées : celle du médecin montréalais Henry Morgentaler, accusé d’avoir pratiqué des avortements illégaux; celle du mariage du même sexe, et finalement, la cause de Joyce Echaquan, cette femme atikamekw de 37 ans victime de racisme qui est décédée dans de tragiques circonstances à hôpital de Joliette. 

 

« Après l’entracte, le public se retrouve assis sur le banc des jurés et doit délibérer sur la question d’un procès criminel impliquant la mort d’un policier », précise la comédienne qui interprète notamment la célèbre avocate Anne-France Goldwater. « Il y a une projection sur écran avec des articles de journaux et des photos d’archives qui est présentée avant les plaidoiries pour que le public ait tous les éléments de l’enquête et du procès en tête. Paul et moi plaidons à tour de rôle notre cause et les gens votent ensuite. » 

 

Elle ajoute que cette formule de théâtre documentaire et immersif est une première au Québec. « Ce sont les deux productrices, les sœurs Luce et Lucie Rozon, qui ont assisté à une pièce du genre en France et qui ont décidé de reproduire le concept ici. » 

 

Matière à réflexion

Les documentaristes Yves Thériault et Nathalie Roy ont eu l’épineuse tâche de choisir cinq causes marquantes et d’ainsi contribuer à mettre en lumière des débats clés de notre société. « Certaines causes se sont imposées, notamment celle de l’avortement. Il y avait un écho avec l’abolition de ce droit dans certains États américains », raconte Marie-Thérèse Fortin. « Ça montre que même si les procès ont eu lieu il y a 70 ans, rien n’est gagné. L’équipe a ensuite choisi des causes et a choisi de présenter un des deux points de vue. Après, le public peut être en accord ou en désaccord, mais il réfléchit, ça, c’est certain ! »

 

Lorsqu’interrogée sur la cause qui l’a le plus bouleversée, la réponse de la comédienne est expéditive. « Joyce Echaquan. On présente tout le déroulement de la prise en charge de madame Echaquan par le système de santé jusqu’à son décès tragique. Il y a une foule d’informations auxquelles le grand public n’a pas eu accès, moi inclusivement. C’est assez troublant et triste… c’est d’ailleurs la cause où on entend le plus de réactions dans la salle. Des exclamations, mais aussi des soupirs chargés d’incompréhension. » 

 

Des réactions qui ont d’ailleurs soulagé quelque peu Géhane Kamel, la coroner chargée de l’enquête sur la mort de Joyce Echaquan en 2021. Elle a assisté à l’une des représentations de Verdict. « Elle nous a dit : “Merci, c’est comme ça qu’on va changer les mentalités et améliorer notre système de santé… En en parlant, en présentant clairement les faits », se remémore Marie-Thérèse Fortin avec émotion. 

 

Si plusieurs étudiant·e·s en droit et avocat·e·s forment le noyau de l’auditoire, la comédienne est convaincue que la pièce est pertinente pour le public plus large et que tout le monde y trouve son compte et matière à réflexion. « L’écoute du public, c’est vraiment étonnant et impressionnant. Les gens écoutent ça religieusement et on constate qu’au fond, ils sont assoiffés de justice. C’est gratifiant. On a l’impression de faire quelque chose de vraiment utile. »